18 mois après Jan Satyagraha - Point d'étape
Inde, avril 2014 : 18 mois après Jan Satyagraha
Petit point de situation
En octobre 2012, Ekta Parishad mobilisait des dizaines de milliers des paysans sans terre, d'intouchables, d'aborigènes pour une marche qui a duré 10 jours et qui permit de conclure un accord en 10 points avec le gouvernement indien. 18 mois se sont écoulés, quelle est la situation aujourd'hui ?
Par rapport au plan en 10 points signé avec le gouvernement indien, le 11 octobre 2012 un certain nombre d’avancées ont été effectuées et traduites dans la loi. Pour autant, les deux principaux points qui concernent la réforme agraire et la mise à disposition de terrains d’habitation sont restés à l’état de brouillon. Malgré toutes les pressions venues de la société civile à l’instar de la manifestation de décembre 2013 devant le parlement organisée par Ekta Parishad, la pression des lobbies de la terre est restée plus forte encore et le gouvernement n’a pas fait le saut tant souhaité.
Voilà pour le contexte général mais l’Inde étant un état fédéral, la mise en place de politiques spécifiques, la vitesse de mise en œuvre des lois peuvent varier grandement d’un état à l’autre et sur la question de la terre, le gouvernement central ne peut pas tout. Aussi, l’on constate dans certains états des avancées manifestes alors que dans d’autres rien ne bouge.
A présent, l’Inde est en période électorale avec des élections générales qui s’étendent sur les mois d’avril et de mai (815 millions de votants). Les partis se consacrent donc totalement à cette échéance et il apparaît que la problématique des paysans n’est pas leur intérêt principal et le thème de l’accès à la terre n’est pas prioritaire dans les programmes présentés aux électeurs. Ekta Parishad ne souhaite pas soutenir un parti politique mais peut localement soutenir une personnalité qui s’engage pour l’accès à la terre des plus pauvres. C’est le slogan « no land, no vote » qui est mis en avant par le mouvement.
Depuis Jan Satyagraha, Ekta Parishad a redéfini ses priorités. L’orientation principale est « back to the village » (retour au village) afin d’aider toutes celles et tous ceux qui ont reçu un bout de terre, tout en soutenant celles et ceux qui attendent encore. Car dans bien des cas, il s’agit pour ces gens de faire valoir leurs droits pour qu’un morceau de terre leur soit donné mais pour cela ils ont besoin d’être formés, soutenus juridiquement, accompagnés.
Depuis la marche de 2007, beaucoup de personnes récupèrent un lopin de terre (plus d’1,5 million depuis 2007). Il faut à présent les accompagner pour qu’elles puissent en faire quelque chose, afin qu’elles ne tombent pas dans la spirale de l’endettement. Dans ce contexte Ekta Parishad a, par exemple, la volonté de développer l’agriculture biologique.
Pour mettre en oeuvre ce changement d'orientation, Ekta Parishad entreprend, en 2014, une grande réorganisation interne afin de pouvoir mieux servir les nouvelles priorités.
Les choses avancent donc mais lentement. Pour Ekta Parishad, il est acquis qu’il sera nécessaire, en plus du travail sur le terrain, de continuer à exercer une pression sur les différentes entités régionales ou fédérales. Un plan d’actions est en train d’être bâti pour les prochaines années avec en ligne de mire une grande action de masse pour 2020 (campagne Jai Jagat dont l’objectif serait de permettre à 1 million de personnes de s’organiser pour une action décisive en Inde).
Dans tout ce processus, la formation à l’action non-violente (notamment en destination des jeunes, priorité de l année 2014, et des femmes, priorité de l’année 2016) reste toujours au cœur de la stratégie d’Ekta Parishad. Il faut, dès à présent, former et faire émerger les leaders de demain. Et à l’échelle de l’Inde cela s’avère être un chantier colossal. A côté de cela, une grande réflexion sur « non-violence et économie » est souhaitée afin de bâtir de nouvelles alternatives à un système qui montre tous les jours ses limites (priorité pour l’année 2018). A cette fin, Ekta Parishad souhaite toujours travailler avec d’autres mouvements de paysans sans-terre à travers le monde et compte aussi s’appuyer sur la solidarité internationale au travers des contacts déjà établis et au moyen d’outils comme Ekta Europe, réseau informel mais actif, d’organisations européennes qui soutiennent Ekta Parishad.
Christian Boury-Esnault, avril 2014
Détail sur les points de l’accord du 11 octobre 2012
- les deux premiers points concernant la réforme agraire et la mise à disposition de terrains d’habitation n’ont pas été votés lors de la législature qui se termine. Pourtant ces textes existent à l’état de proposition. Ils pourront servir de base de discussion lors de la prochaine législature si le nouveau gouvernement montre de l’intérêt pour ces questions.
- Même si cela n’avance pas au niveau fédéral certains états ont décidé d’aller plus vite. Au Kerala, par exemple, le slogan est : plus de sans-terre dans notre état.
- Des aides pour les plus pauvres ont été augmentées au niveau fédéral, et certains états ont aussi augmenté leur participation
- Procédures judiciaires accélérées pour les litiges sur la terre. Des ressources sont allouées à ces tribunaux. Mais pour que cela ait un effet positif et notable, il est important de donner une formation juridique à de nombreux de militants pour qu’ils puissent faire appel à ces tribunaux et aider les personnes dans le besoin.
- Mise en œuvre des lois en faveur des peuples tribaux afin de les protéger contre des tentatives d’accaparement de terre émanant de grands propriétaires ou d’industries et leur donner les lopins de terre prévus dans les textes.
- Début de processus pour pouvoir aussi confier la terre à des communautés (Gram Sabhas et pas seulement à des individus.
- Inventaire des propriétés communes (terres disponibles) dans chaque village a débuté. C’est un travail gigantesque.
- Gestion des litiges entre les terres foncières et terres forestières. Deux administrations se disputent les terres (problèmes de limite de responsabilité et de pouvoir) ou se renvoient la balle si quelqu’un vient à demander des comptes. Des consignes ont été envoyées aux administrations concernées. Deux états ont commencé à prendre des initiatives pour gérer les litiges.